CSRD : la double matérialité comme pilier
La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), adoptée par l’Union européenne en novembre 2022, introduit une exigence croissante pour environ 50 000 entreprises, les contraignant à publier des rapports de durabilité. L’élément clé de ce nouveau processus de reporting ESG est l’analyse de la double matérialité, représentant un défi significatif pour les entreprises concernées.
Cet article explore l’origine du concept de la double matérialité, définit la double matérialité et identifie les entreprises assujetties à cette exigence. Il examinera également les principes fondamentaux de cette analyse et fournira des conseils sur sa mise en œuvre efficace. Enfin, cet article abordera les différence majeures entre l’ISSB et la CSRD.
Sommaire
Quelle est l’origine du concept de matérialité ?
La notion de matérialité trouve ses origines dans le système financier. Au départ, elle vise à distinguer et identifier les informations comptables ayant un impact sur la performance financière d’une entreprise, dépassant ainsi un seuil de signification influençant les décisions économiques, notamment celles des investisseurs.
Ensuite, la matérialité a été adoptée dans le milieu de la RSE et du reporting extra-financier dès 2006 par la Global Reporting Initiative (GRI). C’est à ce moment-là que la matérialité prend une nouvelle dimension. Dans le cadre de la définition d’une stratégie RSE, elle sert à hiérarchiser les enjeux RSE en identifiant les plus prioritaires. Chaque enjeu est classé selon sa pertinence et son importance pour l’entreprise. Les organisations développent leur propre matrice de matérialité RSE en fonction de leur secteur, de leur taille et de leur modèle d’affaires.
L’évolution de la matérialité s’étend aujourd’hui également à la notion de double matérialité, un élément central dans l’élaboration des European Sustainability Reporting Standards (ESRS) par l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group). Considérée comme cruciale dans la récente directive CSRD, l’analyse de double matérialité est désormais un prérequis pour la couverture des thèmes dans le reporting de durabilité comme imposé par la CSRD. Cela inclut des domaines tels que le « changement climatique », qui a évolué de l’obligatoire à la nécessité d’une étude de double matérialité. Cette analyse complexe représente un défi significatif pour les entreprises confrontées à la nécessité de concilier les impacts financiers et les considérations environnementales et sociales.
Qu’est-ce que la double matérialité ?
Définition de la double matérialité
La double matérialité, également appelée « double importance relative », se fixe le même objectif que la matérialité simple, consistant à identifier les enjeux significatifs capables d’influencer les décisions des acteurs financiers. Cependant, elle consolide deux perspectives distinctes de matérialité.
D’un côté, la matérialité financière, aussi connue sous le nom de matérialité simple, adopte une vision « Outside-In » en analysant l’impact des enjeux sociétaux et environnementaux sur la performance économique de l’entreprise. D’un autre côté, la matérialité d’impact, suivant une vision « Inside-Out », se penche sur l’impact des activités de l’entreprise sur l’environnement et la société.
La matérialité financière se concentre sur les impacts positifs (opportunités) et négatifs (risques) générés par l’environnement économique, social et naturel sur le développement, la performance et les résultats de l’entreprise. En revanche, la matérialité d’impact, également appelée matérialité socio-environnementale, prend en considération les impacts négatifs ou positifs de l’entreprise sur son environnement économique, social et naturel.
La double matérialité comme prérequis de la CSRD
Cette approche de la double matérialité vise à surmonter les limites d’une focalisation uniquement sur la valeur financière de l’entreprise. Elle reconnaît que des informations cruciales d’un point de vue social ou environnemental peuvent ne pas être considérées comme « matérielles » du seul fait qu’elles n’affectent pas directement la performance financière. Ainsi, elle incite à intégrer deux perspectives distinctes : la matérialité financière et la matérialité socio-environnementale.
Cette approche est un élément central des normes européennes de reporting sur le développement durable (ESRS) et souligne l’interdépendance des dimensions financière et d’impact, exigeant une évaluation globale de la performance de l’entreprise prenant en compte ces deux aspects. A savoir que tous les ESRS (à l’exception de l’ESRS 2 qui est obligatoire pour toutes les entreprises) sont sujets à l’analyse de double matérialité.
Quelles entreprises sont soumises à l’analyse de double matérialité ?
La double matérialité correspond à l’agenda de mise en application de la CSRD :
- À partir de 2025 (sur la base des données de 2024), les entreprises déjà soumises à la NFRD (entités d’intérêt public dépassant les 500 employés en moyenne, avec un total de bilan de 20 M€ ou un chiffre d’affaires de 40 M€), devront se conformer aux nouvelles exigences.
- À compter de 2026 (selon les données de 2025), les entreprises dépassant au moins deux des trois seuils suivants: soit une moyenne de plus de 250 employés, un chiffre d’affaires de 40 M€, ou un total de bilan de 20 M€, seront également soumises aux nouvelles dispositions.
- Dès 2027 (sur les données de 2026), les PME cotées sur un marché règlementé de l’UE (10 à 250 salariés) seront concernées mais pourront éventuellement différer leur obligation de reporting pendant trois ans en adoptant un standard allégé.
- À partir de 2029 (sur les données de 2028), les entreprises non-UE générant un chiffre d’affaires supérieur à 150 M€ dans l’UE au cours des deux dernières années consécutives et possédant au moins une succursale ou filiale dans l’UE avec un chiffre d’affaires dépassant les 40 M€ l’année précédente seront également assujetties au principe de double matérialité.
Quels sont les principes fondamentaux de l’analyse de double matérialité ?
1. L’analyse doit être réalisée conformément à un cadre prédéfini
Avant l’introduction de la CSRD, il n’existait pas de cadre réglementaire spécifique permettant de définir la matérialité et de guider son intégration dans les rapports extra-financiers des entreprises. Cela accordait aux entreprises une certaine latitude dans le choix des informations à divulguer et des méthodologies à adopter, entravant ainsi la comparaison des performances entre elles.
La CSRD a établi un cadre réglementaire unifié, transparent et contraignant, imposant notamment une méthodologie précise pour évaluer le degré de matérialité d’un enjeu. Les normes encadrant la CSRD détaillent également les enjeux soumis à l’évaluation de la double matérialité.
Dans le cadre de cette analyse, toutes les entreprises seront tenues d’examiner la matérialité d’un socle commun d’enjeux, simplifiant ainsi la comparaison entre elles.
2. L’analyse de double matérialité repose sur l’implication des parties prenantes.
Une évaluation adéquate ne peut être réalisée qu’en engageant activement les parties prenantes qui sont directement ou potentiellement touchées, ainsi que celles en mesure de témoigner de l’impact des activités de l’entreprise.
3. Le format des résultats n’est pas contraint
Les normes ESRS ne contraignent pas à un format spécifique pour exposer les résultats de l’analyse de double matérialité. Ainsi, l’entreprise a la liberté de sélectionner le format qu’elle estime le plus adapté. Cependant, de manière pratique, il est recommandé de présenter les résultats sous forme d’une matrice de matérialité, avec la matérialité financière sur l’axe horizontal et la matérialité d’impact sur l’axe vertical.
Quelles sont les étapes de l’analyse de double matérialité ?
Les étapes de l’analyse de double matérialité peuvent être regroupées en différentes phases pour une approche cohérente et complète.
L’analyse interne de la double matérialité
La première phase, centrée sur l’analyse interne, comprend quatre étapes distinctes. Tout d’abord, il s’agit d’identifier les enjeux de durabilité, définir le périmètre de l’analyse et clarifier les objectifs stratégiques de la démarche. Cette étape requiert une distinction claire entre la matérialité financière et la matérialité d’impact, en prenant en compte les enjeux liés à la chaîne de valeur de l’entreprise.
La deuxième étape de cette phase consiste à établir une liste plus spécifique des enjeux de durabilité, en affinant les recommandations générales des normes ESRS. Cela peut nécessiter une recherche approfondie sur la prise en compte des enjeux ESG dans le secteur d’activité ou une étude des analyses de matérialité réalisées par des concurrents.
La troisième étape implique le recensement des interlocuteurs internes et la collecte des données nécessaires. Enfin, la quatrième étape consiste à élaborer un modèle et des outils d’évaluation, souvent sous forme de grille de scoring, conformément aux recommandations de l’EFRAG.
Les parties prenantes au cœur de l’analyse de double matérialité
La deuxième phase, axée sur l’engagement des parties prenantes, comprend également quatre sous-étapes. Initialement, il est essentiel d’établir une cartographie des parties prenantes, distinguant entre celles affectées par les activités de l’entreprise et celles utilisant l’information. Ensuite, la définition des thèmes, métriques et outils pour la consultation des parties prenantes est cruciale, basée sur les enjeux identifiés lors de l’analyse interne.
La troisième sous-étape concerne la consultation effective des parties prenantes, recueillant leurs perceptions et attentes. Enfin, la quatrième sous-étape implique le traitement et l’analyse des données recueillies, consolidant les résultats de la consultation des parties prenantes dans un rapport détaillé.
La consolidation de la matrice de double matérialité et rapport final
La troisième et dernière phase consiste en la consolidation de la matrice de double matérialité et la production du rapport final. Cette étape finale implique l’ajustement des résultats de l’analyse interne avec ceux de la consultation des parties prenantes, conduisant à la validation de la matrice de double matérialité par la direction de l’entreprise. Notons que cette consolidation permet une présentation claire et exhaustive des résultats, contribuant ainsi à une communication transparente et efficace.
Les normes de l’ISSB : deux différences majeures avec la CSRD
Au fil des années, l’Europe a manifesté un engagement croissant en faveur de la normalisation des informations de durabilité, d’abord à travers la NFRD (Non-Financial Reporting Directive), prédécesseur de la CSRD, puis avec cette dernière. Tout en développant ses propres normes, l’Union européenne se trouve confrontée à une compétition internationale, principalement avec l’ISSB (International Sustainability Standards Board). L’ISSB, affilié à la IFRS Foundation établie en 2021, vise à créer des normes internationales de référence pour la communication d’informations sur les risques et opportunités liés à la durabilité des entreprises.
Cependant, l’approche de l’ISSB est considérée comme « moins ambitieuse » pour deux principales raisons.
Premièrement, avec ses deux normes actuelles (IFRS 1 et IFRS 2), l’ISSB se concentre exclusivement sur les données climatiques, négligeant les autres aspects de la durabilité. Cette approche plus restreinte contraste nettement avec les normes ESRS de l’Union européenne, qui intègrent la double matérialité, englobant à la fois les aspects financiers et les impacts sociaux et environnementaux.
Deuxièmement, alors que l’ISSB concentre ses efforts sur les questions climatiques, les ESRS de l’UE embrassent une vision plus holistique, reconnaissant l’importance de prendre en compte les impacts non seulement sur les résultats financiers, mais aussi sur la société et l’environnement. Cela soulève des interrogations sur la capacité de l’ISSB à fournir un cadre complet et exhaustif pour la divulgation des informations de durabilité, surtout dans un contexte mondial où les enjeux liés à la durabilité dépassent largement le seul domaine climatique.
Conclusion
En conclusion, l’accomplissement de l’analyse de double matérialité représente une étape incontournable pour toutes les entreprises soumises aux nouvelles exigences de reporting en matière de durabilité. Il est essentiel de se préparer en amont pour garantir la disponibilité de toutes les données nécessaires en vue de la première échéance de reporting. Nos formations en ligne E-Learning ESG constituent la première étape pour vous former et sensibiliser vos équipes en 60 minutes à l’ESG et au reporting de durabilité !
La proposition de la Commission européenne, publiée en juin 2023, renforce le rôle crucial de la double matérialité en déterminant les indicateurs ESG sur lesquels les entreprises devront obligatoirement communiquer dans leur rapport de durabilité.
Les résultats issus de l’analyse de double matérialité fourniront à la gouvernance des entreprises des informations stratégiques pour orienter les transformations nécessaires, engager la transition, et assurer la durabilité de leur modèle d’affaires en répondant aux attentes de leurs parties prenantes.